
Le "POILU DE MASCARA", devenu familier à tous les
riverains de la côte raphaëloise, a non seulement acquis droit de cité, mais son
empreinte va grandissante dans le cœur de tous les Rapatriés. En effet, n'est-il
pas l'objet, chaque année, d'une vénération exceptionnelle de la part des
Mascaréens, lors de leur rassemblement annuel le jour de la Pentecôte ?
Comment, dans quelles conditions ce symbole est-il à
Saint-Raphaël?
Comment ce Combattant de bronze est-il parvenu des
terres d'Oranie au pied de l'Esterel ?
Notre héroïque "POILU" a une histoire et nous allons
vous la conter ici.
* * *
On peut situer le début du récit un jour de fin mai
1971, alors qu'une conseillère municipale nouvellement élue a Saint-Raphaël
apprend, par hasard, qu'une statue de bronze représentant un combattant de la
Grande Guerre, gisait couché et à demi enfoui dans la terre, dans un coin de la
cour de la caserne des Sapeurs Pompiers de Saint-Raphaël. A ses côtés étaient dissiminées des plaques de marbre, portant gravés des noms bien de chez nous,
négligemment dispersées. ,
Notre conseillère, déléguée aux Rapatries, se montra
indignée d'un tel abandon. Elle ne put sur le champ obtenir la moindre précision
sur l'origine de cette statue. Tout au plus avions-nous la certitude qu'il
s'agissait d'un monument rapatrié d'Oranie.
Après avoir pris contact avec un compatriote rapatrié
de l'ancienne équipe municipale, tout s'éclaira : il s'agissait du Monument aux
Morts de MASCARA, pour lequel un projet d'installation avait fait l'objet de
nombreuses et vaines démarches administratives consignées dans un volumineux
dossier classé aux archives.
Ainsi apprit-on que, quelques années auparavant, une
délégation d'anciens combattants conduite par M. MONTAMAT, conseiller municipal,
rapatrié lui-même, avait obtenu de M. André LEOTARD, conseiller général du
canton et père de l'actuel
Député-maire de Fréjus, l'autorisation d'installer dans
la région, trois Monuments aux Morts d'Oranie rapatriés par le Génie Militaire,
la Légion et stockés au Camp Sainte-Marthe à Marseille.
Le monument d'HAMAM-BOUHADJAR, d'où est originaire M.
MONTAMAT fut installé sur l'esplanade de la Base Aéronavale, à Fréjus-Plage. La
"VICTOIRE AILEE" qui coiffait le Monument aux Morts de Tlemcen fut érigée à
Saint-Aygulf, ou elle tient lieu de Monument aux Morts. Une plaque gravée évoque
son origine.
II restait donc le "POILU DE MASCARA", à propos duquel
on se heurta a un imbroglio administratif courtelinesque.
Un Préfet très pointilleux n'allait-il pas exiger
l'autorisation préalable du Ministère des Affaires Culturelles, lequel
était, selon la loi en vigueur, seul à accorder son blanc-seing au texte a
graver dont les mots devaient être soumis à son appréciation ! ...
Les échanges de correspondance avaient duré des mois et
des mois, alors que notre brave "POILU" gisait toujours dans une fange qui
n'était pas celIe des tranchées ...
Une telle argumentation parut insoutenable. Comment
pouvait ton assimiler l'implantation d'un monument nouvellement crée au
transfert d'un monument d'une Terre Française vers une autre Terre Française ?
Pour accélérer les démarches, le Conseil Municipal de
Saint-Raphaël prit à l'unanimité la décision déterminante dans sa réunion du 2
juin 1971, décision rapportée ainsi : "A la demande de Mme ELLUL, le Conseil
décide d'ériger sur une place de la ville, le Monument aux Morts de MASCARA,
actuellement dans les entrepôts de la Commune. Suite à la précédente
délibération, le Conseil confie à M. VASSAL de faire proposition à l'Assemblée
pour le choix d'un emplacement."
Le choix du site fut approuvé a l'unanimité. La Place
Léon Berger, en bordure de l'avenue du XVe Corps (celui d' Algérie), dont les
immeubles sont habités par une forte colonie de Pieds-Noirs, accueillerait enfin
et définitivement ce digne hôte.
II restait tout de même à surmonter un obstacle,
obtenir l'aval des autorités administratives départementales. Pour cela il
convenait d'attaquer sans faiblesse pour éviter toute tergiversation des
légistes pointilleux et pas toujours bien intentionnés ...
II faut dire, à ce propos, que le Maire de
Saint-Raphaël, le Docteur GIROD éprouvait beaucoup de sympathie à l'égard
des PIEDS-NOIRS. II avait, en effet, vécu cinq années chez nous, comme Interne
de I'H6pital d'Oran, puis comme médecin du "bled" entre Nemours et "la Mer d'
Alfa". Aussi, lorsqu'il apprit le triste sort réservé jusque-là au "POILU DE
MASCARA", sa décision fut-elle immédiate:
"Nous inaugurerons le Monument de MASCARA le 11
novembre 1971", lança-t-il vers la mi-octobre. C'est dire s'il fallait
précipiter les choses ...
La conseillère déléguée partit donc pour Draguignan,
son dossier sous le bras. Le siège préfectoral se trouvait vacant, le titulaire
n'ayant pas encore rejoint son nouveau poste.
Là, on peut dire que le "POILU" allait avoir la
"Baraka" : les affaires courantes étaient gérées par un haut fonctionnaire tout
acquis a notre cause. Officier parachutiste de réserve, il avait autrefois
occupé un poste à la préfecture de Constantine.
Sa décision fut immédiate :
"Plantez votre Monument. Dans deux jours vous recevrez
le texte officiel de l'arrête autorisant l'opération. "
Ainsi fut fait: le Monument de MASCARA serait dédie à
la mémoire des Français d'Outre-mer tombés au Champ d'Honneur.
II appartenait a la Municipalité Raphaëloise d'activer
les choses. Un bloc de porphyre bleu des carrières du Dramont (lieu historique
du Débarquement en Provence) fut commande par le délègue a l'urbanisme, M.
VASSAL, maitre d'ceuvre de profession. Une cassure centrale symboliserait les
deux "existences" du POILU de part et d'autre de la Méditerranée.
Un problème se posa, le fusil tenu par la main droite
s'était brisé pendant le transport. On songea à le remplacer par un "Lebel"
authentique. Cela s'avéra impossible, l'arme n'étant pas à l'échelle de
grandeur! Alors, un esprit astucieux remplaça l'arme par une grenade. Le geste
semblait très naturel, et nous sommes sûrs que bien des Mascaréens ne se sont
pas aperçus de cette anodine substitution ...
C' est ainsi que le 11 novembre 1971, sous une pluie
diluvienne, en présence d'une foule nombreuse, stoïque sous les averses, et avec
le concours de la musique des troupes d'Infanterie de Marine et d'un détachement
en armes de la Légion Etrangère venu spécialement d' Aubagne, eut lieu
l'inauguration. Levée des couleurs, sonnerie "Aux Morts", "Marseillaise" et
discours prononcés par le Maire de Saint-Raphaël et le Docteur LAQUIERE,
Président de l' Amicale des Rapatriés.
Un seul regret, que certains pourraient ressentir :
n'avoir pu utiliser les nombreuses plaques de marbre dont chacune portait gravé
le nom d'un enfant de MASCARA tombé au Champ d'Honneur. Ces plaquettes
manipulées et transportées en vrac étaient-elles toutes la ? N'aurait-il pas été
désolant d'en omettre plusieurs sans le savoir ?
Chacun trouvera sa consolation dans la présence
effective du "POILU" , même privé de son fusil, qui continuera à être
honoré comme il l'est, plus de vingt ans âpres son grand voyage ...
II convient de signaler que l'actuelle Municipalité de
Saint-Raphaël porte une attention particulière à ce que le Monument et ses
abords soient entretenus. Un petit jardin l'entoure. Les drapeaux sont hissés
pour l'honorer les jours de fête. De plus pour la Pentecôte, jour du
traditionnel rassemblement des Anciens de MASCARA et de sa Région, les
Municipalités de Fréjus et de Saint-Raphaël participent avec beaucoup d'amitié à
la manifestation.
Ce jour-la, au pied de la stèle de celui qui, pressé
par les événements, et contre son gré, a quitté la place Eugène-Etienne à
MASCARA pour venir s'installer à Saint-Raphaël, on rend hommage à tous ceux des
nôtres qui ont fait don de leur vie pour la France ...
Ce récit de Mme ELLUL est dédié a tous ceux qui,
connus et inconnus, ont contribué à la réinstallation du "POILU", à
Saint-Raphaël, et plus particulièrement à :
♦ Mme ELLUL, ♦ M. MONTAMAT ♦ LA
MUNICIPALITE DE SAINT-RAPHAEL , Qu'ils trouvent ici l'expression de notre
gratitude. Ils ont ainsi fait que "Les souvenirs oublies ne soient jamais
perdus"
LE COMITE DE MASCARA ET SA REGION
Mai 1985 |